« À Taïwan, plus personne ne veut faire ce genre de job »

Suite à un jeu de circonstances amusantes, la famille Lin me reçoit dans son aciérie des faubourgs de Taoyuan, Taïwan.

Taoyuan n’est pas, à de rares exceptions près, une jolie ville. Mais c’est un poumon économique. Le plus grand aéroport de l’île y accueillait 45 millions de passagers à l’année avant la pandémie ; un métro aérien dernier cri relie la municipalité à la Capitale, Taipei ; 17 % de la richesse du pays est produite sur ces terres fertiles et industrieuses.

L’industrie, c’est ce dont il sera question aujourd’hui.

J’ai rendez-vous avec M. Lin dans une zone d’activité très éloignée du gigantisme et de l’image policée des Gigafactories à la Elon Musk. Ici, un chien m’accueille en aboyant depuis son chenil et il pleut à découvert. Je rejoins un grand bâtiment en tôle inondé d’odeurs de suie.

Le bruit des forges rend difficile toute discussion sereine. Je remarque que les protections auditives sont un rêve lointain pour les ouvriers : « C’est le week-end, m’explique Mme Lin. On se relâche un peu sur les règles. »

Tout à côté, les presses broient des alliages ferreux sans discontinuer. D’imposantes mâchoires réduisent en poussières des pylônes, des perches et des plaques de métal en attente de recomposition. Votre prochain lit Ikea se trouve peut-être ici.

Dans un tel environnement, le moindre faux pas peut coûter cher. M. Lin a perdu trois doigts au contact de ces machines. Ce genre d’homme ne se plaint pas, jamais. Il travaille sept jours sur sept, 10 heures par jour, surnageant tant bien que mal dans un environnement international malmené depuis que le protectionnisme est revenu à la mode.

« La concurrence d’Asie du sud-est se fait de plus en plus rude… Beaucoup d’usines ont fermé. À Taïwan, les jeunes ne veulent plus faire ce genre de job, c’est trop dur. On est parmi les dernières petites entreprises à être encore en activité. »

Cette visite est une leçon de vie.

Ici, loin des grands projets d’Investissements Directs Étrangers et des zones économiques spéciales mises à l’honneur dans les ambassades, j’ai la chance de voir la colonne vertébrale de ce pays. L’honneur d’approcher ces entrepreneurs anonymes qui ont fait le miracle taïwanais, comme d’autres ont fait les Trente glorieuses en France en leur temps. Aucun confort ne tombe du ciel. Derrière chaque plaisir se cache un labeur patient.

J’ai bien conscience, avec mon BAC +5 Sciences Po et mes mémoires de recherche spécialisés, d’avoir encore beaucoup à prouver au monde.

林先生,加油!

L’aventure continue.

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